Il y a de cela quelques semaines, je suis tombé sur le dernier Top Gun, Top Gun: Maverick. En plus d’être génial, ce film est également à la pointe du progrès sur le plan technique. Il commence avec Maverick, joué par Tom Cruise, qui travaille comme pilote d’essai et se prépare à piloter un nouvel avion mis au point secrètement, le Darkstar, capable de voler à Mach 10. Au même moment, le contre-amiral Chester Cain, interprété par Ed Harris, se rend à la base d’essais pour mettre fin au programme – le Darkstar n’ayant pas encore réussi à voler à Mach 10, ce qui était une condition pour que le projet se poursuive – mais Maverick prend Cain de court. Alors que ce dernier arrive à la base, Maverick décolle avec le Darkstar pour tenter d’atteindre Mach 10. Une belle entrée en matière !
Les ondes de choc
À 9 minutes et 47 secondes dans Top Gun, le contre-amiral Cain est assis dans la salle de contrôle avec l’équipe du Darkstar et regarde les écrans de contrôle de la mission lorsque la caméra fait un gros plan sur un écran en particulier. Il montre les gradients de densité autour de l’avion, permettant de visualiser les ondes de choc sur une image dite schlieren. Après m’être repassé cette scène plusieurs fois, je me suis demandé comment il était possible de produire ces images sans la présence d’un jet suiveur volant près du Darkstar et utilisant une technique d’imagerie schlieren air-air pour visualiser la forme des ondes de choc. Aucun avion ne serait capable de le suivre pour enregistrer cela, n’est-ce-pas ? Je me suis alors rendu compte qu’ils utilisaient un jumeau numérique capable d’actualiser en direct la simulation à mesure que Maverick manœuvrait l’avion pour s’approcher de la limite de Mach 10. À ce moment-là, j’ai également remarqué que la vitesse affichée sur l’écran de la salle de contrôle ne correspondait pas aux ondes de choc : l’angle était trop élevé. L’angle observé entre l’onde de choc et le fuselage du Darkstar semblait plus proche de Mach 1.1-1.2 que de la vitesse réelle de Mach 7.5-8 à cet instant; il devait s’agir d’une erreur.
C’est là qu’est née l’inspiration pour cet article de blog : à quoi pourraient ressembler les véritables ondes de choc et le champ de vitesse autour du Darkstar à cette vitesse ? J’ai décidé de construire un modèle et de voir ce que la fiction a laissé de côté. (En pratique, ce type de modèle pourrait être utilisé pour entraîner un modèle de substitution destiné à un jumeau numérique, tel que celui qui est affiché dans la salle de contrôle).
Figure 1. Le jumeau numérique du Darkstar montrant la forme des ondes de choc sur l’écran de la salle de contrôle.
Modéliser la géométrie du Darkstar
On aurait pu créer la géométrie du modèle assez facilement en achetant des modèles 3D physiques du Darkstar, tels que des modèles imprimés en 3D, ou des fichiers CAO. Cependant, j’ai choisi de partir de zéro et j’ai demandé l’aide de l’équipe CAO pour mener à bien cette tâche. En raison du délai limité du projet et des difficultés à obtenir des informations précises, nous avons omis certains détails dans la géométrie finale. Nous nous sommes principalement appuyés sur des images du film et sur quelques images du prototype réel du Darkstar apparaissant dans le film.
La géométrie du modèle est présentée dans la figure ci-dessous. Notez que dans la deuxième vue latérale, vous pouvez voir le compartiment pour la propulsion à cycle combiné, avec une admission de turbine fermée et une admission de statoréacteur ouverte.
Figure 2. La géométrie du Darkstar.
Déterminer la vitesse
Dans notre premier modèle, illustré par la figure 3, le Darkstar vole à une vitesse de Mach 1.5. Nous avons utilisé un modèle d’écoulement non visqueux comme première approche pour visualiser la forme des ondes de choc autour du fuselage de l’avion. La figure 3 montre également la norme du gradient de densité de l’air sur un plan horizontal, ainsi que les lignes de courant du champ de vitesse. Dans la pratique, les gradients de densité sont révélés par l’imagerie schlieren.
Figure 3. Le Darkstar volant à une vitesse de Mach 1.5. Les résultats montrent les gradients de densité causés par les ondes de choc et le champ de vitesse en lignes de courant.
La figure 4 montre une coupe verticale et une coupe horizontale traversant le centre du Darkstar sur toute la longueur du fuselage. La coupe verticale correspond à l’image schlieren qui apparaît sur l’écran de la salle de contrôle dans le film.
Figure 4. Norme du gradient de densité, vue de côté (à gauche) et de dessous (à droite) à Mach 1.5.
Comme mentionné, à 9 minutes et 47 secondes du film, le Darkstar vole à environ Mach 7.5. La figure 5 montre les ondes de choc vues de côté (à gauche) et de dessous (à droite) à cette vitesse. Notez que nous représentons ici le logarithme du gradient de la densité. Les ondulations blanches devant le Darkstar correspondent au bruit causé par la stabilisation numérique et sont de l’ordre de 1·10-7 kg/m3 ou moins.
L’image schlieren à Mach 7.5 semble presque horizontale, ce qui contraste avec la représentation du jumeau numérique dans la salle de contrôle du film. Les ingénieurs de Skunk Works qui ont conçu le Darkstar pour le film ont probablement constaté que la vitesse était bien inférieure à Mach 7.5, mais étaient satisfaits des images produites.
Figure 5. Norme du gradient de densité vue de côté (à gauche) et vue de dessous (à droite) à Mach 7.5.
La Figure 6 montre les isosurfaces du nombre de Mach. L’image de gauche montre le Darkstar volant à Mach 1.5, tandis que l’image de droite le montre volant à Mach 7.5. Comme les isosurfaces sont calculées directement à partir de la vitesse et non du gradient d’un champ, elles sont plus lisses que les gradients de densité représentés sur la figure 5. Les isosurfaces sont tracées sur la moitié de la géométrie, en utilisant un plan de symétrie vertical traversant le centre du Darkstar sur toute la longueur du fuselage.
Figure 6. Ecoulement d’air calculé, lorsque le Darkstar vole à Mach 1.5 (à gauche) et à Mach 7.5 (à droite).
Dans les simulations CFD présentées ci-dessus, nous avons utilisé l’interface Ecoulement à haut nombre de Mach du logiciel COMSOL Multiphysics®. Cette interface physique résout la conservation de l’énergie, de la masse et de la quantité de mouvement.
Après avoir créé la géométrie et simulé l’écoulement à haut nombre de Mach, je me suis dit : pourquoi nous limiter à cela alors que nous pourrions encore examiner la furtivité du Darkstar…
A quel point le Darkstar est-il furtif?
Le Darkstar est un avion de grande taille, aussi grand que le légendaire SR-71 Blackbird et deux fois plus long que le F-35 Lightning II. Sur la base des modèles d’écoulement à haut nombre de Mach présentés ci-dessus, nous pouvons conclure qu’il est possible d’entendre le Darkstar. Cependant, nous devons encore déterminer à quel point il est visible par un radar et quelle est sa surface équivalente radar.
Le Darkstar volerait à une vitesse si élevée qu’il serait difficile pour les missiles ennemis de le rattraper (il surpasserait la plupart des armes actuelles). Cependant, il est intéressant de comparer le Darkstar à d’autres avions à réaction en matière de détection précoce. Les radars de détection précoce utilisent des fréquences comprises entre 1 GHz (longueur d’onde = 30 cm) et 3 GHz (longueur d’onde = 10 cm), ce qui correspond aux bandes L et S, respectivement.
La figure 7 montre les courants de surface sur le fuselage du Darkstar à partir d’une onde radar frontale à polarisation verticale, arrivant dans le sens opposé à la direction de vol. On constate que les réflexions sur le radôme et le capot moteur sont importantes aussi bien à 1 GHz qu’à 3 GHz. Cependant, les réflexions sur les stabilisateurs verticaux sont beaucoup plus prononcées à 1 GHz qu’à 3 GHz. En outre, les réflexions à 3 GHz semblent plus modérées, ce qui est comparable au fait d’éclairer l’avion avec une lumière directionnelle projetée sur l’avant de l’appareil. Ce résultat est prévisible, car plus la fréquence est élevée, plus nous nous rapprochons de l’approximation de l’optique physique.
Figure 7. Courants de surface sur le fuselage du Darkstar à 1 GHz (à gauche) et à 3 GHz (à droite).
Figure 8. Courants de surface sur le fuselage du Darkstar à 1 GHz (à gauche) et à 3 GHz (à droite), vu de dessous.
Le maillage nécessaire pour résoudre l’onde électromagnétique est plutôt dense. En effet, il est nécessaire d’avoir au moins cinq éléments par longueur d’onde, ce qui signifie qu’un élément ne peut dépasser 2 cm dans le cas de la fréquence de 3 GHz.
Figure 9. Le maillage est si dense qu’il est difficile de voir les éléments sans zoomer.
La figure 10 montre la surface équivalente radar à 1 GHz et 3 GHz, calculée en dB en utilisant une référence de 1 m2. La moitié rétrodiffusée du tracé correspond à ce qui est renvoyé au radar ennemi et qui permet de détecter le Darkstar en approche. Toutes les valeurs se situent bien à l’intérieur du demi-cercle, lequel correspond à une valeur de 0 dB et à une surface équivalente de 1 m2. En effet, les valeurs les plus élevées, relevées à 1 GHz, sont de l’ordre de -5 dB (0.3 m2). Les valeurs observées à 3 GHz sont inférieures à -10 dB (0.1 m2), ce qui est comparable à d’autres jets furtifs. La surface équivalente radar est probablement encore plus faible dans la bande X, autour de 10 GHz, ce qui rendrait le Darkstar encore plus inaccessible aux missiles ennemis (il vole probablement trop vite de toute façon).
Figure 10. Diagramme polaire de surface équivalente radar à 1 GHz et 3 GHz selon une vue frontale dans un plan horizontal (à gauche) et détail de la partie de rétrodiffusion du diagramme (à droite).
Il est important de noter que si nous disposions d’une description précise de la géométrie, la surface équivalente radar calculée serait plus précise. Par exemple, les détails des capteurs, d’un radar orienté vers l’avant et du cockpit avec son tableau de bord auraient un impact. D’autre part, le Darkstar serait probablement recouvert d’un matériau capable d’absorber les ondes radar, ce qui diminuerait sa surface équivalente radar. Dans nos simulations, nous avons effectivement appliqué une telle protection sur les prises d’air des moteurs, mais nulle part ailleurs. En outre, un plasma se formerait probablement à la surface du Darkstar en raison de sa vitesse hypersonique, ce qui aurait également un impact sur la surface équivalente radar. Pour simplifier quelque peu les choses, le Darkstar volerait en mode statoréacteur pendant les missions, en fermant les entrées des turbines. Dans le cas contraire, ces dernières réfléchiraient les ondes radar et devraient donc être prises en compte dans le modèle.
Dans les simulations ci-dessus, nous avons utilisé la méthode des éléments de frontière disponible dans COMSOL Multiphysics® avec le module RF. En utilisant l’interface Ondes électromagnétiques, éléments de frontière, nous avons pu prendre en compte la diffusion sur les arêtes, les ondes rampantes et les résonances de cavité, qui ne sont pas prises en compte lorsque l’on utilise des méthodes simplifiées basées sur l’optique physique.
Enrichir les modèles et regarder le film
Comme évoqué précédemment, il serait possible d’améliorer la précision des modèles présentés dans cet article de blog en augmentant le niveau de détail de leurs géométries. Cela aurait un impact sur les simulations CFD et les simulations d’ondes électromagnétiques. Pour améliorer la précision de la géométrie du Darkstar, il faudrait ajouter des capteurs et tenir compte des petits espaces et des chevauchements entre les différentes plaques de métal formant le fuselage du Darkstar, ainsi que des espaces et des détails nécessaires pour représenter l’entrée du cockpit, les fenêtres et les trappes du train d’atterrissage. En outre, il peut être important d’inclure des éléments internes de l’avion, tels que la structure interne qui n’est pas protégée par du métal, le radar du cône de nez et le cockpit avec le tableau de bord. Les gaz d’échappement extrêmement chauds des moteurs réfléchiront probablement aussi le signal radar. Enfin, il est important de noter que les profils du fuselage, des ailerons et des ailes du Darkstar sont complexes, difficiles à reproduire avec précision mais cruciales pour les résultats des calculs de CFD et d’ondes électromagnétiques.
Notre analyse contient tous les éléments d’une véritable étude de modélisation et de simulation. Cependant, elle a été réalisée pour s’amuser et pour satisfaire notre curiosité. Une analyse de haute-fidélité nécessiterait de nombreux mois de travail de la part des concepteurs d’avions, des spécialistes de la CAO, de la CFD et des radars.
Il est temps maintenant de revenir au film et de franchir le cap de ce début absolument génial. Cette fois-ci, j’essaierai d’éviter de penser à la modélisation et à la simulation…
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Le Darkstar et les scénarios évoqués dans cet article sont des éléments fictifs issus et/ou inspirés des films Top Gun.
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